Tribune

Les naissances conçues hors union, un autre facteur de rejet

Les travaux de démographie historique en Europe montrent que l’une des principales causes d’abandon d’enfants entre le 17ème et les 20 ème siècles est la stigmatisation des naissances illégitimes (Fuchs, 1992 ; Morel, 2003). Les naissances illégitimes de mères célibataires ou adultères ne trouvent aucune place au sein des familles. Elles forment l’essentiel des effectifs des centres d’accueil au 17ème siècle. Au 18ème siècle, l’Eglise met au point un système d’anonymat pour préserver la bourgeoisie de la honte des naissances illégitimes. Il s’agit des tours, compartiments pivotant à deux portes qui permettent de recueillir sans délai le bébé, tout en ignorant l’identité de celui qui l’abandonne (Morel, 2003).
Cette pratique d’anonymat se retrouve en France dans les pratiques "d’accouchement sous X", fortement remises en cause par les défenseurs du droit à la connaissance des origines (Faqué, 2004 ; Guillin, 1996 ; Iacub, 2003). L’arrivée de la contraception au milieu du 20ème siècle et la libéralisation de l’avortement en Europe ont permis l’accès à une prévention efficace des naissances non voulues et ont réduit d’autant le nombre des abandons. En France, en 1996, la proportion d’enfants abandonnés à la naissance est estimée à 1 pour 1000 (Marinopoulos, 1997).
En Afrique, hormis quelques rares exceptions, la sexualité hors mariage est encore fortement stigmatisée. Les normes sociales rejettent très souvent l’enfant né hors union, qu’il s’agisse de l’enfant adultérin ou de l’enfant du célibat, et cela de manière si forte que cette pression sociale a pour conséquence de nombreux abandons. Au Cameroun, l’accroissement des enfants abandonnés est cité comme l’un des signes les plus dramatiques de la marginalisation socio-économique des mères célibataires et de leur enfant (Calvès, 2006). On constate que les enfants recueillis dans les institutions (pouponnières, orphelinats) sont souvent abandonnés ou confiés par des mères célibataires. C’est particulièrement le cas en Algérie où une étude menée dans les années 1980 montre que les enfants abandonnés, dont le nombre est en augmentation constante, sont quasi exclusivement le fait de jeunes mères célibataires (Lacoste-Dujardin, 1986). Une étude au Sénégal analyse 33 dossiers d’expertise psychiatrique pour infanticide, entre 1968 et 1994. Seulement deux cas de pathologie mentale ont été identifiés. Il s’agit, en très grande partie, (30/33) de femmes célibataires ou mariées mais dont l’époux est parti en migration (Menick, 2000). Une autre étude de cas au Sénégal illustre l’infidélité comme cause de néonaticide (Sow et al., 1989). Une étude en milieu hospitalier à Brazzaville, présente le cas de 9 nouveau-nés hospitalisés pour prématurité ou infection néonatale en 1997 qui ont été abandonnés. Les mères étaient toutes jeunes (mineures pour les trois quarts) et sept d’entre elles célibataires (Miakayizila et al., 2000). En Tanzanie, l’analyse de 14 cas d’accusation pour infanticide par la Haute Cour de justice de Dar es Salaam, montre que les trois quarts des cas concernent des adolescentes (Rwebangira, 1994). C’est donc bien la peur du rejet familial et social qui conduit les jeunes mères célibataires et les mères adultères à l’abandon du nouveau-né, voire à l’infanticide.

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